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27 mars 2004

LES REPENTIS DU 21 AVRIL 2002

Au soir du premier tour du scrutin présidentiel d'avril 2002, nombre d'électeurs de gauche se sont repentis de n'avoir pas « voté utile ». Ils en ont tiré la leçon. Ils l'expliquent


E RAS-LE-BOL DES LU

Une vieille banderole est restée accrochée devant le local syndical de l'usine LU de Ris-Orangis, dans l'Essonne. L'usine est fermée depuis mars 2003. Mais ils sont encore quelques-uns à venir là tous les jours, pour garder le contact et continuer à se battre pour sauver leurs emplois. Guy Démon, 39 ans, a commencé à travailler chez LU en 1984. Comme tous les autres, il reste salarié de l'entreprise jusqu'en juin 2004, ensuite il sera au chômage. Le 21 avril 2002, il avait voté Besancenot (Ligue communiste révolutionnaire, LCR) pour la première fois. Il ne le regrette pas. « Il y avait un ras-le-bol général pour la politique, pour la présidentielle. Voter LCR, c'était un vote utile, pour montrer notre écoeurement à nos dirigeants. » Ce qu'il a pensé quand il a vu que Jospin n'était pas au second tour ? « Je me suis dit, c'est bien fait. Je ne suis pas pour Le Pen, mais ça a montré que les gens en avaient marre. C'était un vote protestataire. Des fois, je me dis que si on avait Le Pen pendant trois mois, ce serait bien, pour les secouer. » Dimanche 21 mars, pourtant, Guy a voté pour Jean-Paul Huchon - tête de liste de la gauche unie en Ile-de-France - aux régionales, « parce que, au niveau de la région, on voit qu'ils font des choses concrètes pour les gens. Le gouvernement de droite a supprimé l'aide pour les personnes âgées, mais, dans l'Essonne, les socialistes l'ont maintenue. C'est des petits trucs, mais c'est important. »

 

Comme Guy, Roland Gonzales a toujours voté à gauche. A 48 ans, il se sent trop vieux pour retrouver un emploi, l'avenir lui fait peur, « alors, maintenant, je n'y pense plus, sinon je deviendrais fou », explique-t-il. Il ne s'est syndiqué, à la CGT, qu'avec le conflit social, « même si j'étais déjà de tous les coups ». Il se souvient du choc qu'il a ressenti lors du soir du 21 avril. Il avait voté pour la LCR. A l'époque, Roland en voulait aux socialistes : « L'usine a fermé alors qu'ils étaient au pouvoir. Ils nous promettaient des choses, mais on n'a rien vu. » Dimanche, au premier tour, il a « voté directement socialiste ».

 

Dans le couloir exigu, aux murs couverts de coupures de presse, une salariée (qui préfère rester anonyme) prépare le thé. Elle aussi a voté LCR en 2002, « pour protester ». « Mais c'était une erreur, affirme-t-elle. En se divisant, on a contribué à la défaite de la gauche. C'est aussi la faute des politiques. Ils n'ont rien à nous proposer. Les extrêmes profitent de la misère sociale actuelle. » Au premier tour des régionales, elle a voté pour la dirigeante du Parti communiste français, Marie-George Buffet, qu'elle juge « proche des gens, de ce qu'ils vivent au quotidien ».

 

LE CHOC DES PROFESSEURS

 

Brigitte, elle, n'a que rarement voté pour l'extrême gauche. Enseignante d'histoire-géographie au lycée de Neufchâtel-en-Bray (Seine-Maritime), cette électrice de 57 ans avait choisi, en avril 2002, de voter pour Jean-Pierre Chevènement. « Je voulais donner un avertissement à Jospin, parce que j'avais été déçue par ses discours, notamment en matière d'économie. Il prétendait que l'Etat ne pouvait rien faire contre la mondialisation. Chevènement, au contraire, prônait un Etat plus fort. Et puis les réformes Allègre m'avaient mise en colère. Après les résultats, je n'étais pas bien fière de moi. J'avais participé à cette tragédie : le Front national en deuxième position. » Dimanche 21 mars, Brigitte a voté « utile », en choisissant la liste d'Alain Le Vern et de la gauche unie.

 

Vieille électrice de l'extrême gauche, Louise Soyer, 48 ans, enseignante elle aussi, s'en est « beaucoup voulu » au soir du 21 avril 2002. Pas question, pour elle non plus, de refaire la même erreur : « En tant que prof d'histoire, je suis hantée par le nazisme. Le danger est tellement réel, terrible... », estime-t-elle.

 

Corinne Pestel, 45 ans, professeur d'anglais au lycée de Neufchâtel-en-Bray et chevénementiste convaincue, fait une autre analyse. « Les résultats du 21 avril, ça a été un choc. Mais je ne regrette pas mon vote. Je ne me sens pas responsable des 17 % de Le Pen. J'ai même plutôt l'impression que j'ai essayé d'attirer l'attention de certains de mes collègues, qui sont aussi des élus du PS. Ils n'ont pas été capables de m'entendre. » Cette « demi-repentie » a pourtant décidé, au premier tour des élections régionales, de voter pour la liste de gauche. « A contrecoeur, précise-t-elle. J'ai même failli voter blanc. Je ne suis pas du tout persuadée que les socialistes ont compris le problème de fond : ils vont peut-être continuer à gérer leur clientèle. »

 

HÉSITATIONS À BELFORT

 

Licencié en 2003, à quelques années de la retraite, Denis Mettétal, ancien cadre chez Alstom, le complexe industriel de Belfort, est revenu saluer ses collèguesu lendemain du premier tour des élections régionales. Aucun d'entre eux n'a voté pour la liste chevénementiste, qui n'a recueilli que 4,18 % des voix - loin derrière celle (PS-Verts) de Raymond Forni (31,28 %). « Pour moi, la rupture avec Chevènement était consommée dès le soir du 21 avril. J'avais voté pour lui, mais du bout des doigts », assure Denis Mettétal. Une rupture confirmée au lendemain du premier tour des élections régionales, quand l'ancien ministre socialiste a « appelé à voter blanc dans les circonscriptions où ses listes étaient absentes : j'ai été scan-da-li-sé », s'exclame-t-il. « Ne pas faire la différence, surtout à l'heure actuelle, entre une gauche - même rose pâle - et Raffarin... ». Au moment de voter, le 21 avril 2002, Bernadette Perrin, 69 ans, institutrice retraitée, avoue avoir « hésité jusqu'au bout » avant de voter Chevènement. « Si j'avais su que Le Pen passerait au second tour, j'aurais voté Jospin. Mais je ne suis pas une repentie ! Je regrette juste de ne pas avoir été assez lucide. »

 

CONTRASTES À MARSEILLE

 

Dans le quartier populaire de la Joliette, Marie Ducaté, 49 ans, artiste peintre, ne cache pas non plus ses regrets. « Après le 21 avril, j'étais mal, très triste. J'ai regretté de ne pas avoir voté Jospin au premier tour », admet cette fidèle électrice du Parti communiste. Secrétaire régionale du Syndicat national des artistes plasticiens (SNAP-CGT), Marie Ducaté assure qu'il y a eu « beaucoup d'adhésions depuis le 21 avril ». Même si elle considère que « voter utile n'est pas entièrement satisfaisant », l'artiste-syndicaliste estime que, au niveau régional, « Michel Vauzelle [tête de la liste de gauche] a fait des choses pour la culture ». Surtout, insiste-t-elle, « il vaut mieux voter pour des gens capables de gouverner que pour l'extrême gauche, qui ne sait pas vraiment faire autre chose que critiquer ».

 

Heidia Maoui, 21 ans, étudiante en BTS-assurance, vit seule avec sa mère dans un immeuble HLM du quartier du Prado, à quelques encablures du Stade Vélodrome. « Ma mère est tunisienne et n'a pas le droit de vote. On n'a jamais vraiment parlé de politique à la maison. A la présidentielle de 2002, je n'ai pas voté. Ce n'était pas par manque d'intérêt car certains de mes amis de lycée, membres du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), m'avaient sensibilisée à la politique. Mais je n'ai pas été inscrite à temps sur les listes électorales, car on n'avait pas accepté mon justificatif de domicile. Sur le coup, je me suis dit que ce n'était pas grave. Mais, le 21 avril, je me suis sentie trahie. Je voyais des fachos partout et j'ai beaucoup regretté de ne pas avoir pu voter. Ce soir-là, j'ai rejoint mes amis à la fédération socialiste de Marseille. Ça m'a fait un choc de voir tout le monde en pleurs. »

 

Quelques jours plus tard, la jeune fille adhère au MJS. « Je pensais que c'était la seule façon de changer les choses », dit-elle. Lors de la campagne pour les élections régionales, Heidia et ses amis « tractent plusieurs fois pas semaine dans le centre-ville » et discutent avec les passants - les jeunes surtout. « C'est un gros investissement, mais ça a payé ! », souligne la jeune militante, satisfaite des résultats du premier tour des régionales. Le 21 avril 2002 est une « date marquante » pour Heidia, qui dit avoir « envie » de « prendre des responsabilités » au sein du MJS et, plus tard, du PS : « On se dit que rien n'est jamais acquis. Le 21 avril, pour moi, a finalement été une vraie révélation. »

 

Photographe amateur, éducateur de profession, Patrick Box, 50 ans, habite avec sa femme et ses deux filles dans un grand appartement du quartier populaire de Sainte-Marguerite. « Venu en politique » par les mouvements lycéens des années 1972-1973, son éducation s'est faite dans les milieux trotskistes, et Patrick en garde « un très bon souvenir ». Devenu communiste à l'époque du programme commun, « tout en conservant [ses] amitiés révolutionnaires », il avoue avoir été « séduit », en avril 2002, par le représentant de la LCR, Olivier Besancenot, « sa jeunesse, son enthousiasme ». L'éducateur-photographe a donc voté pour lui, souhaitant également, par ce vote, « protester contre la politique de Jospin ». Mais, il le reconnaît, il est « tombé de haut » le soir du 21 avril. « Je m'en suis mordu les doigts. J'avais mal voté. Deux semaines plus tard, j'ai été obligé de faire un aller-retour depuis Cassis, où je faisais des photos, pour venir voter Chirac. Si j'avais été un révolutionnaire pur et dur, un guévariste, comme je m'en réclame parfois, j'aurais voté FN pour emmerder la droite. Mais je n'ai pas voulu prendre le risque. »

 

Au premier tour des régionales, « j'ai voté Vauzelle », précise-t-il. « J'ai voté utile contre l'UMP et le FN, même si le candidat Vauzelle ne me convient pas et sa liste non plus. S'il n'y avait pas eu le 21 avril, j'aurais voté Samuel Johsua [liste LCR-LO] au premier tour, et Vauzelle au second. Je n'attends pas grand-chose de Vauzelle en PACA, ni du PS actuel, avec les Strauss-Kahn, les Fabius, au niveau national. C'est plutôt Montebourg, Emmanuelli et Mélenchon que j'aurais envie de voir au premier plan. Mais je sais que l'extrême gauche, c'est utopique. Le siècle du communisme est terminé. La société est en décomposition. Il faut tout recomposer. C'est un défi plutôt exaltant. »

 

Catherine Ranise est retraitée. Ancienne employée à l'ANPE, elle était également militante CGT. Elle habite le quartier de Bonneveine, près du port de la Pointe rouge, dans le sud de Marseille. « J'ai toujours voté à gauche. Des fois PS, des fois Verts, et même une fois pour Laguiller, à des législatives. Le 21 avril 2002, j'ai voté Besancenot. J'ai été séduite par le personnage. Il m'a attendrie avec son langage assez neuf : ça changeait de celui de la mère Laguiller, qui commence un peu à radoter. Et puis j'avais été très déçue par le gouvernement Jospin. C'était un vote épidermique, l'expression d'un vrai ras-le-bol. Le soir du 21 avril, j'ai été choquée. J'en ai pleuré. De honte. De rage. Je me suis sentie très con, en ouvrant ainsi la porte au FN. J'ai voté Chirac au second tour en me disant que, plus jamais, je ne ferais une ânerie pareille. C'est trop dangereux. En France, la configuration politique, avec un FN qui talonne la droite et la gauche, ne permet plus de jouer ce petit jeu. Aux régionales, il était donc évident que j'allais voter pour la gauche unie. Tant pis pour Johsua ! Je me dis maintenant qu'on ne vote pas pour se faire plaisir. C'est vrai que je crois moyennement à la gauche. J'espère seulement que ces résultats vont lui redonner la pêche, l'envie d'être un contre-pouvoir. C'est vrai que voter Hollande au premier tour en 2007, ça me ferait un peu mal au coeur. Mais, avec la montée du FN, on n'a plus le choix. »

  P/                  

Catherine Simon avec Solène Davesne, Manuel Domergue, Charles Giol et Faustine Prévot (de la promotion 2004 du Centre de formation des journalistes)

               

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