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20 février 2007

A propos de "laïcité"

Par-delà la tolérance


    On la croyait acquise pour de bon. Et pourtant... Fatwas en tout genre, procès des caricatures de Mahomet, controverses sur le port de signes religieux à l'école, célébration critique de la loi de 1905 : si la laïcité demeure incontestée dans son principe, ses contours, eux, semblent de plus en plus flous. Raison de plus pour réinsuffler un peu de rigueur conceptuelle sans polémique, un effort de clarification qui se trouve justement au coeur de ce précieux petit livre. Car de quoi se réclame-t-on quand on se réclame de la laïcité ? De la " tolérance " ? Pas du tout. Pour la philosophe Catherine Kintzler, une spécialiste de Condorcet qui avait signé l'" appel contre le Munich de l'école républicaine " lors de l'affaire du voile islamique en 1989, ces deux notions renvoient en vérité à deux façons très différentes de concevoir une cité libre.

Le modèle de la tolérance, plus propre aux pays à dominante protestante, partira ainsi du " réel social ", son objectif étant d'harmoniser différentes opinions présentes dans une société. A l'inverse, montre l'auteur, la laïcité ne résulte pas de la prise en compte de l'existant : elle se situe paradoxalement " en deçà ", sa préoccupation étant de construire a priori un espace qui rende possible la coexistence des libertés.

 

En ce sens, la laïcité ne relèverait ni du contrat ni du " pacte " : elle se présente avant tout comme un concept philosophique. Deux exemples pour mieux en saisir la teneur. Supposons qu'un groupe de fumeurs se trouve dans un wagon non-fumeurs et qu'ils soient tous d'accord pour fumer. A " l'objection du réel " - nous ne gênons personne -, le contrôleur aura raison d'opposer " la fiction du droit ", à savoir qu'" il pourrait y avoir quelqu'un ". Cette étrange fiction, à la fois très simple et très sophistiquée, est bien celle qui préside au fonctionnement de la laïcité. En témoigne encore la fameuse loi de 1791, selon laquelle " il faut tout refuser aux juifs comme nation ; il faut tout leur accorder comme individus ". Loin de représenter le comble de l'abomination jacobine, cette formule s'avère au contraire profondément libératrice dans la mesure même où elle proclame " un devoir d'aveuglement ". Et l'auteur de faire judicieusement remarquer que si, sous Vichy, chaque fonctionnaire avait tenu bon sur cette proposition, " avait réclamé alors le droit et le devoir de s'aveugler aux juifs "comme nation", c'est-à-dire comme appartenance communautaire, cela aurait fait beaucoup de résistants... ".

 

Qu'en est-il aujourd'hui ? L'auteur dresse une intéressante typologie des figures animant les débats actuels sur la laïcité : il y aurait le " républicain laïc ", partisan d'une stricte abstention de la puissance publique ; le " démocrate communautariste ", qui place la prise en compte des différences au fondement de la cité. Le " totalitaire intégriste ", qui n'admet ni la laïcité ni la tolérance ; le " laïque intégriste ", qui n'accepte la liberté de croyance qu'à titre privé. Enfin, la figure tourmentée du " néo-laïque ", récemment apparue sous le label de " laïcité ouverte ". On sent bien que c'est avant tout à celui-là que s'adresse ici Catherine Kintzler, lui reprochant d'être " authentiquement laïque lorsqu'il est confronté à un intégrisme de droite ou du Nord ", mais de devenir " communautariste lorsqu'il est confronté à un totalitarisme du Sud ".

 

Le principe de laïcité ne serait-il susceptible d'aucun aménagement, fût-ce au nom du combat contre l'intégrisme islamiste et d'une évaluation pragmatique des risques ? On pourrait objecter à l'auteur que certains articles de la loi de 1905, comme celui stipulant que " la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ", pourraient aujourd'hui appeler une redéfinition - que l'on songe à la délicate question du financement des mosquées ou à celle de la formation des imams.

 

Alexandra Laignel-Lavastine

 

Qu'est-ce que la laïcité ?

Catherine Kintzler

éd. Vrin, 128 pages, 7 ¤

 

© Le Monde

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