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23 février 2007

La présidentielle vue de la bourse

La mondialisation est leur terrain de jeu. Les golden boys parisiens ne sont pas passionnés par la politique française. Onzième volet de notre série " Avant la présidentielle "

            

Gérants de portefeuilles dans la société de gestion parisienne Richelieu Finance (5 milliards d'euros sous gestion), Franck Hennin, 31 ans, et Salah Saddek, 27 ans, travaillent côte à côte onze heures par jour, dans une salle bruyante et encombrée. Pourtant, certains soirs, ils ont encore envie d'être ensemble : " Hier, on a fait une fête entre collègues, raconte Franck en souriant, ça s'est terminé tard. Même chose la semaine dernière. Sur la centaine d'employés de la société, il y a beaucoup de jeunes célibataires comme moi. Les filles sont belles, l'ambiance est excellente. " Franck affirme être un homme heureux : " Nous faisons vraiment un beau métier, la finance est un monde passionnant à tous points de vue, ouvert sur le monde, et touchant à tous les secteurs d'activité. "

Confortablement installés dans un bar luxueux proche de leur bureau, au coeur du quartier le plus chic de Paris, les deux hommes annoncent sans détour qu'ils gagnent bien leur vie. En plus de leur salaire, ils touchent des primes importantes : chez Richelieu, le bonus de fin d'année est parfois égal au salaire annuel. Cela dit, impossible d'avoir des chiffres précis : " Un collègue de même rang peut gagner deux fois plus que moi, ou deux fois moins, selon nos performances individuelles, explique Salah. Ce serait trop délicat d'aborder le sujet publiquement. " Il préfère parler des sociétés concurrentes : " On a vu cette année à Paris quelques bonus approchant le million d'euros, presque autant qu'à Londres. " Depuis deux ans, la Bourse se porte bien : " L'économie mondiale est en expansion, les sociétés financières en profitent pleinement. Nous sommes au coeur de la mondialisation, donc peu tributaires des situations locales. La planète finance tourne rond, à Paris comme ailleurs. "

Les deux amis ne voient pas de quoi ils pourraient se plaindre. Avec plus de 50 heures de travail par semaine, ils ont un métier stressant, mais ils ont droit aux RTT pour décompresser et ne trouvent rien à redire à ce système : " Nous avons tout à fait conscience d'être des privilégiés ", résume Salah. La politique les intéresse, à leur façon : " Se tenir au courant des affaires du monde fait partie du métier. Une obscure décision de l'OMC peut affecter la vie des entreprises que nous suivons. " Mais la France, dans tout ça ? " On discute parfois de l'élection présidentielle, mais en surface, explique Franck. J'aime bien écouter les candidats, les juger, et me moquer un peu, certains ont un côté comique très fort. Je sais aussi être sérieux, mais quand je regarde les programmes des grands partis, je suis frappé par les ressemblances : un Etat fort, mais aucune remise en cause de l'économie de marché. Ségo ou Sarko, ça ne va pas changer ma vie. "

Salah va plus loin : " Jadis, l'opium du peuple, c'était la religion, aujourd'hui, c'est la politique. Je le dis sans aucun dédain ni égoïsme, mais quand je vois des gens en situation difficile placer tous leurs espoirs dans la politique, ça m'attriste, ils font fausse route. " Dans son esprit, l'actualité française est souvent reléguée au second plan : " La France est un village dans un monde globalisé. Le principal levier dont disposaient les gouvernements, c'était la politique monétaire, mais, depuis l'euro et la Banque centrale européenne, cet outil leur a été retiré, et c'est une bonne chose. La BCE, c'est la stabilité, des taux bas, des compromis dont tout le monde profite. "

Alors, pour qui voter ?

Franck n'a pas envie de se dévoiler : " En France, le vote est secret, c'est très bien comme ça. En vérité, aucun des grands candidats ne me fait rêver, et de toute façon les réformes indispensables sont toujours remises à plus tard. " Salah n'a pas non plus de candidat en tête : " Il faut faire son devoir de citoyen, mais je vais voter presque à contrecoeur, parce que les politiciens se foutent quand même de la gueule du monde. Quand on connaît bien les dossiers économiques, on s'aperçoit que leur démagogie est trop énorme. " Il a lu le programme de Nicolas Sarkozy sur Internet et se demande comment l'UMP compte financer ces dépenses nouvelles tout en baissant les impôts.

Quant à Ségolène Royal, il n'a pas trouvé le temps de regarder sa grande émission sur TF1, et ce qu'il a appris de ses propositions grâce aux journaux télévisés a fini de le convaincre de l'irréalisme du programme socialiste.

Leur collègue Nathalie Pelras, 36 ans, deux enfants, regarde la politique d'assez loin : " Avec mes amis, on en discute surtout en rigolant, pour se moquer de Johnny-le-Suisse ou de la "bravitude" de Ségolène. Je ne me suis jamais disputée avec qui que ce soit à cause de la politique. " Elle se dit centriste, sans passion : " Le centre, c'est tiède, mais si on veut faire au mieux pour tout le monde, on fait du moyen. " Cela dit, François Bayrou ne l'intéresse pas : " Il n'est pas crédible, il n'a aucune chance de gagner. " Elle n'a pas pris le temps de lire le programme du PS : " Ségolène ne m'attire pas, je n'arrive pas à l'imaginer représenter la France. On dirait que cette candidature lui est tombée dessus par hasard. Le fait que ce soit une femme m'indiffère, et ça me dérange que des gens veuillent voter pour elle uniquement pour cette raison. C'est de la misogynie à l'envers. "

Nathalie considère que Nicolas Sarkozy est sans doute le candidat le plus crédible, en termes d'expérience et d'envergure, mais elle regrette que la pensée économique de l'UMP soit souvent ambiguë : " Ils se réjouissent quand une entreprise française s'implante à l'international, mais ils crient au scandale dès qu'un "fleuron de notre industrie" est acheté par un "méchant étranger". Pourquoi mettre ces entreprises sur le marché si on veut que personne ne puisse les acheter ? Je vais voter par élimination. " En fait, elle n'est même pas sûre de se déplacer : " S'il fait beau et que j'ai l'occasion d'aller passer un week-end à la mer, je ne vais pas m'en priver parce qu'il y a une élection ce jour-là. "

Le fondateur et président de Richelieu Finance, Gérard Augustin-Normand, 55 ans, a des convictions plus marquées. Dans son vaste bureau moderne décoré avec goût, il accueille ses visiteurs en manches de chemise, col ouvert. Pour résumer sa vision de la politique, il attrape un dictionnaire sur une étagère et fait la lecture : " "Libéralisme : 1. Ensemble des doctrines qui tendent à garantir les libertés individuelles. 2. Attitude de respect à l'égard de l'indépendance d'autrui, de tolérance envers ses opinions." Comment un mot aussi beau a-t-il pu devenir une insulte dans ce pays ? Pour moi, libéralisme signifie d'abord libération des énergies créatrices, y compris dans sa dimension d'affrontement salutaire. "

Il essaie d'analyser la situation électorale avec pragmatisme : " Si Mme Royal est élue, il y aura peut-être une inquiétude à la Bourse, mais ce sera passager. Je me souviens de 1981 : quand Mitterrand a gagné, les milieux financiers étaient complètement paniqués. Or les années 1980 ont été une excellente période boursière. Plus tard, Pierre Bérégovoy et son équipe ont su réformer et moderniser les marchés financiers, ce qui a été très bénéfique pour notre profession. "

En fait, il est persuadé que le clivage gauche-droite est caduc : " On assiste, à l'intérieur de chaque camp, à une lutte entre les anciens et les modernes. Les anciens croient encore que l'économie est à leur service. Je suis très choqué quand je les entends donner des leçons aux patrons sur des sujets dont ils ignorent tout. " Au contraire, les modernes ont compris que la démarche intelligente consiste à se mettre au service de l'entreprise : " Le rôle de l'Etat doit être d'organiser un cadre dans lequel l'entreprise peut se battre à armes égales avec ses concurrents étrangers. Il y a des modernes à droite, mais aussi au PS, par exemple Dominique Strauss-Kahn. Ils finiront par l'emporter, mais il ne faut pas traîner. "

Or il reste beaucoup à faire : " Si l'Etat prend 10 euros à l'entreprise, il n'en réinjecte dans l'économie que 1 ou 2. Alors que si on laisse les 10 euros à l'entreprise, elle en créera 50 ou 100 en nouvelles richesses. Le vrai levier est là. "

Selon lui, le débat sur les salaires excessifs de certains patrons, leurs stock-options ou leurs " golden parachutes ", est sans grand intérêt : " Si la rémunération est liée à une vraie performance, où est le problème ? On n'a surtout pas besoin de lois supplémentaires. Il faut fluidifier le marché du travail, pas le rigidifier. S'il y a des abus, je fais confiance à l'entreprise pour retrouver ses équilibres. On pourrait renforcer les pouvoirs de l'assemblée générale des actionnaires, qui est une institution très démocratique. "

Pour lui, les urgences sont ailleurs : " Il faut supprimer la taxe professionnelle, puis harmoniser les taux d'imposition au niveau européen, ce qui poussera la France à baisser les siens. Il faut aussi alléger le système de contrôle ; la lourdeur des tâches administratives imposées par l'Etat bouffe l'énergie des entrepreneurs. "

Dans ce contexte, Gérard Augustin-Normand estime que l'exode fiscal des Français les plus riches est un vrai problème : " La France ne perd pas seulement des capitaux, mais aussi ses entrepreneurs et leur savoir-faire, une énergie créatrice et une culture irremplaçables. L'impôt n'est pas la seule raison de leur départ. Beaucoup vont tenter leur chance ailleurs parce qu'ils sont exaspérés par le traitement que leur infligent les fonctionnaires. " De plus, les enfants de ces expatriés grandiront à l'étranger et ne reviendront plus : " Certains chefs d'entreprise s'expatrient car ils se disent : si je reste en France, mon fils pourra-t-il créer quelque chose dans ce pays ? Sera-t-il libre d'innover ? "

Le président de Richelieu Finance imagine une réforme fiscale très originale : " La moitié des foyers ne paient pas l'impôt sur le revenu, ça les déresponsabilise complètement. Il faut que tout le monde paie l'impôt, même une somme symbolique pour les foyers modestes. C'est un geste citoyen important, la seule façon pour que l'ensemble de la population se sente concernée par le financement de l'Etat. "

Cela dit, il reconnaît que, à titre personnel, il est peu concerné par l'agitation électorale : " J'aime ma vie, mon appartement parisien, ma maison en Normandie. Ma situation me permet un certain détachement. En fait, je regrette qu'il n'y ait pas de candidat vraiment libéral. Sarkozy est très prudent dans ce domaine, je ne suis pas sûr que ce soit un authentique libéral. Aujourd'hui, je ne suis fixé sur personne. J'espère qu'avant la fin de la campagne un candidat exprimera clairement qu'il est conscient du rôle essentiel de l'entreprise. "

Yves Eudes

          

          

© Le Monde

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