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11 janvier 2000

Ségolène Royal, la société et l'école

'AFFAIRE a fait grand bruit même au-delà des frontières. En autorisant les infirmières scolaires à délivrer la pilule du lendemain dans les collèges et les lycées, Ségolène Royal a déclenché une réaction du Vatican et suscité l'intérêt de la presse internationale. Pour spectaculaire qu'elle soit, cette décision n'était pourtant pas la première du genre pour la ministre déléguée à l'enseignement scolaire. Depuis deux ans et demi, elle a montré sa détermination à lever des tabous et à se saisir de sujets de société qui secouent l'école.

Qui, avant elle, avait eu le courage de s'attaquer à des thèmes aussi sensibles que la pédophilie ou le bizutage ? En imposant, dès son arrivée Rue de Grenelle, que les enseignants pédophiles ne soient plus mutés mais sanctionnés et en transformant le bizutage en délit inscrit dans la loi, la ministre a brisé la loi du silence qui prévalait jusque-là. Quel ministre de l'éducation s'était sérieusement préoccupé du vaste champ de la santé à l'école ? Des promesses non tenues du « nouveau contrat pour l'école » de François Bayrou - qui prévoyait une infirmière scolaire pour cinq cents élèves -, le débat s'est élargi à la place de la santé dans le système éducatif. Même si les six cent quatre-vingt-quinze nouveaux emplois d'infirmières sont loin de combler l'ensemble des besoins, Mme Royal a créé depuis juin 1997 davantage de postes que son prédécesseur en quatre ans. Faisant de la santé une des conditions essentielles de la réussite scolaire, la ministre a défini ou rédéfini le rôle de l'institution, notamment dans la prévention des conduites à risques, l'accueil des enfants atteints de troubles de la santé et l'éducation à la sexualité. Enfin, après la catastrophe du Drac, dans laquelle six élèves et une accompagnatrice avaient trouvé la mort, elle a entrepris de mettre de l'ordre dans un maquis de textes réglementaires imprécis régissant les sorties scolaires.

Au risque d'être raillée, Mme Royal s'est définie comme la ministre « des enfants et des adolescents » voulant tout mettre « au service de cette obsession ». Comme prévu, les moqueries étaient au rendez-vous, mais aussi les puissants lobbies qui avaient jusqu'ici largement contribué à faire régner l'omerta dans l'éducation nationale. En matière de pédophilie, c'est une révolution culturelle qu'il a fallu opérer avec des enseignants encore marqués - bien qu'il ait été réalisé en 1967 - par le film d'André Cayatte Les Risques du métier, mettant en scène un instituteur victime des allégations mensongères d'une élève. Récemment, Ségolène Royal a dû réagir au soutien apporté par ses collègues enseignants à un directeur d'école condamné en appel pour attouchements sexuels sur un élève.

CROISADE OU COUP MÉDIATIQUE ? Dans le dossier piégé du bizutage, la ministre a affronté à la fois l'esprit de corps des filières d'élite de l'enseignement supérieur et des oppositions dans son propre camp. Renvoyée devant la Cour de justice de la République pour diffamation, à la suite d'une plainte de deux enseignants de classe préparatoire, elle a trouvé dans le bizutage, avoue-t-elle, son « plus difficile combat ministériel ». Quant à la nouvelle réglementation des sorties scolaires, thème apparemment consensuel, elle s'est heurtée aux intérêts économiques des organismes de tourisme social et a nécessité près de deux ans de négociations avec les syndicats d'enseignants.

L'intérêt porté par Mme Royal à ces sujets de société relève-t-il de la croisade ou du coup médiatique ? Ses amis évoqueront ses convictions personnelles ; ses ennemis préféreront parler de calculs politiques, d'une ambitieuse plus que d'une novatrice. « En s'attaquant à des sujets de son époque, elle veut devenir la Simone Veil de gauche », lâche un responsable syndical. Mais tous tomberont d'accord pour dire qu'elle a trouvé un espace pour exister aux côtés de l'omniprésent Claude Allègre. Son passé de parlementaire, de conseillère à l'Elysée et d'auteur ( Le Printemps des grands-parents et Le Ras-le-bol des bébés zappeurs) a, de toute façon, amplement prouvé que son goût pour les questions sociétales pouvait se mettre habilement au service de sa carrière.

Contrairement à son prédécesseur, qui voyait l'école comme un sanctuaire, Mme Royal a choisi d'en faire un lieu de vie et de considérer l'élève « dans sa globalité ». Cette stratégie a non seulement permis à l'école de faire face à ses tabous, mais elle a aussi relégué l'opposition au rang de spectatrice. Ainsi Claude Goasguen, porte-parole de Démocratie libérale, admet-il que Mme Royal « a raison de poser les questions de société dans l'école », tandis que Bruno Bourg-Broc, député RPR (Marne), trouve « normal que les responsables du pays se saisissent de ces débats de société qui transcendent les clivages traditionnels et passionnent les Français ».

Reste que cette politique laisse en suspens des questions essentielles sur le rôle de l'institution scolaire. « On ne peut pas laisser croire que l'école peut tout régler », déplore Denis Paget, secrétaire national du SNES-FSU. A force de « demander aux enseignants de tenir compte de tous les problèmes que rencontrent leurs élèves on finit par trop charger la barque de l'école et on brouille le sens de la mission des professeurs », ajoute-t- il. De son côté, Jean-Pierre Sueur, secrétaire national du Parti socialiste à l'éducation, fait valoir que, si l'école était uniquement consacrée à la transmission des savoirs, « il ne faudrait pas d'infirmières, de médecins ou d'assistantes sociales, mais uniquement des salles de cours ».

ABSENCE DE VÉRITABLE POLITIQUE Mme Royal encourt un autre reproche en se penchant avec autant de sollicitude sur des sujets « périphériques » à l'école, celui de ne pas mener de véritable politique d'éducation. Du cafouillage sur le lancement et la mise en oeuvre de la charte pour l'école du XXIe siècle aux timides propositions pour réformer le collège, le volet pédagogique de son action demande encore à faire ses preuves. Les vrais tabous seraient-ils dans le coeur du système scolaire - programmes, horaires, méthodes ?

De tous bords, responsables syndicaux et politiques critiquent enfin l'absence de débat et le déficit de concertation dont Mme Royal se serait rendue coupable. M. Bourg-Broc considère que Mme Royal, en annonçant l'autorisation de délivrer la pilule du lendemain dans les établissements du second degré « au détour d'un salon, sans concertation du corps social, avec des effets essentiellement médiatiques », a « confisqué un débat qui incombe à la société tout entière et pas à un ministre en catimini ». Il regrette que cette question, comme d'autres sujets de société, n'ait pas donné lieu à « un débat devant le Parlement ». Une opinion partagée par M. Goasguen. Ce dernier interroge : « Maintenant que la société est entrée dans l'école, le ministre de l'éducation doit-il être le seul à traiter de ces sujets ? »

Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, Mme Royal a contribué à donner une autre image de l'école, plus ouverte, plus attentive, en s'attaquant à des domaines refoulés ou considérés comme marginaux par les ministres. M. Allègre voulait remettre l'éducation « à la "une" des journaux ». Mme Royal y est parvenue, elle aussi. A sa manière, proche de l'opinion, loin des débats d'experts.

 

                  

SANDRINE BLANCHARD ET BEATRICE GURREY

               

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