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24 février 2007

Georg Baselitz se confronte à l'art soviétique

SAINT-ÉTIENNE ENVOYÉ SPÉCIAL
Le  Musée d'art moderne de Saint-Etienne présente une trentaine de " tableaux russes " peints entre 1998 et 2001


Entre 1998 et 2001, Georg Baselitz a peint une cinquantaine de reprises et variations à partir des toiles soviétiques - ce qu'il appelle ses " tableaux russes ". Cet ensemble est montré dans sa presque totalité à Saint-Etienne. Et c'est passionnant.

Hans-Georg Kern, qui s'appelle Georg Baselitz depuis 1961, est né en 1938 en Saxe, dans un village nommé Deutschbaselitz - de là son pseudonyme. En 1945, la région se trouve dans la partie du IIIe Reich, occupée par l'Armée rouge, qui devient la RDA, l'Allemagne de l'Est communiste. L'éducation artistique du jeune Kern s'est faite dans ce contexte. Non sans heurts : refusé par l'Ecole des beaux-arts de Dresde, en 1955, il se fait expulser de celle de Berlin-Est au bout d'une année pour " immaturité sociopolitique " et passe à l'Ouest en 1958. Il commence alors à assimiler tout ce qu'il ignorait auparavant de l'art du XXe siècle et à travailler selon son inclination personnelle, jusqu'à devenir le peintre majeur qu'il est aujourd'hui.

Mais il y a eu cette décennie à l'Est, les images dans les livres et, en 1953, une exposition à Berlin et à Dresde consacrée à l'art soviétique. Le réalisme socialiste est alors au plus haut de son autorité : la seule manière de peindre acceptable en URSS et dans les pays du bloc soviétique. L'adolescent Kern voit les scènes de la vie de Lénine peintes par Vladimir Serov et Alexandre Guerassimov, L'Interrogatoire des communistes, de Boris Ioganson, et bien d'autres oeuvres où la précision de la représentation sert l'idéologie et la propagande. Il ne les a pas oubliés depuis.

Que faire de ces images aujourd'hui et de ce qu'elles affirmaient ? Quels rapports entre peinture et idéologie ? Qu'en est-il de la liberté du créateur ? Ce ne sont que quelques-unes des questions qui se posent. Car les " tableaux russes " de Baselitz ne sont pas simples. Sans doute y retrouve-t-on les caractères de son art, le grand format, le renversement des figures têtes en bas, le graphisme gestuel, la fluidité chromatique, l'énergie expressive. Mais la relation qui s'établit entre chaque toile d'aujourd'hui et sa référence d'autrefois est complexe.

Baselitz métamorphose, déforme, inverse, allège, épure. Mais ce n'est pour tomber ni dans la fatuité d'une démonstration de maîtrise technique ni dans la parodie. Bien qu'il ait souffert de la domination du réalisme socialiste dans les années 1950 et n'ait jamais adhéré au discours communiste, il ne traite pas Lénine à Smolny ou Repos après la bataille par l'ironie ou le mépris. En leur insufflant son lyrisme, il leur rend parfois hommage. On sentirait même du respect et une sorte d'attachement : ses évocations de Lénine sont plutôt celles de l'homme malade des années 1920 que celles du révolutionnaire de 1917.

Car Baselitz refuse la confusion et distingue entre les hommes et les périodes : si Lénine est comme sauvegardé, les visions de Staline en tyran jouant au grand-père sont cruelles. Les allusions au IIIe Reich ne le sont pas moins. Quand Baselitz reprend des images soviétiques de la seconde guerre mondiale, il revient aussi sur le passé de l'Allemagne, sans équivoque.

Un fasciste est passé est le titre d'une oeuvre qui montre un chien assis près du cadavre d'un homme tué par le bombardement. Dessinée en noir et blanc avec un léger rehaut de rouge, l'allégorie est d'une force terrible. Quant à la reprise des Jeunes kolkhoziens écoutant la radio d'Antonov, elle rappelle que la propagande de Goebbels a employé les mêmes instruments, la radio et l'image. En durcissant, noircissant, il contraint le spectateur à voir le mensonge et l'aliénation sous la scène de genre faussement anodine.

Mais ce qu'il y avait d'utopie d'un monde meilleur dans l'art soviétique, Baselitz le sait aussi. Les nus féminins et les figures kolkhoziennes athlétiques et souriantes se chargent d'un érotisme que leurs auteurs, dans les années 1950, s'étaient efforcés de contenir et que Baselitz libère avec plaisir. L'explosion des touches colorées et la grâce elliptique du dessin sont alors les modes d'une transcription révélatrice, sous le signe de la volupté. Ainsi retravaillées, les peintures d'autrefois deviennent de plus en plus explicites - de plus en plus véridiques.

Cet art difficile et profond de la reprise révélatrice, peu d'artistes s'y risquent. Il est un précédent cependant : Picasso repeignant à sa façon Le Déjeuner sur l'herbe ou les Ménines pour leur faire cracher leur vérité. Dans ses " tableaux russes ", Baselitz en fait autant. C'est dire leur importance.

Philippe Dagen

                     

© Le Monde





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