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28 février 2007

Ecoutons enfin les Noirs de France

Presque tous les candidats restent trop discrets sur une situation qui n'est plus acceptable

 

Il est grand temps que s'engage un débat serein sur la condition des Noirs de France, sur l'action affirmative et sur les statistiques de la diversité. Le baromètre CRAN- TNS-Sofres a révélé que 61 % des Noirs interrogés disaient avoir été victimes de discriminations au cours des douze derniers mois. Lorsqu'on regarde dans le détail, on s'aperçoit que ce pourcentage atteint 75 % en région parisienne et... 79 % en région Méditerranée.

D'après notre enquête, 81 % des Noirs de plus de 18 ans sont français. On peut alors se demander pourquoi ils sont toujours qualifiés d'" immigrés ". La République ne prend en compte que la nationalité, nous dit-on ; pourquoi avoir créé cette catégorie intermédiaire entre les Français et les étrangers qu'est l'" immigré " ? C'est une catégorie honteuse, qui n'est plus utilisée dans le vocabulaire politique que pour justifier des différences de traitement entre citoyens français. Nous n'en voulons plus.

Nous préférons parler de " Noirs ", parce que nous n'appartenons pas à une catégorie intermédiaire entre les " Français " et les " étrangers ". Nous sommes français et noirs. Comme on peut être français et juifs. Français et femmes. Français et homosexuels. Et nous revendiquons, comme ces derniers, d'être fiers de ce que nous sommes. Parce qu'on nous a trop souvent demandé d'en avoir honte.

Etre noir ne nous confère ni une intelligence ni une capacité physique supérieures aux autres. Mais cela nous donne une raison de nous battre. De nous battre pour la reconnaissance de nos droits. De nous battre pour l'égalité de tous dans l'accès à l'emploi, au logement, à la justice. Nous avons 2,25 fois moins de chances que les autres Français de devenir cadre, 1,5 fois plus de chance qu'eux d'être ouvrier à la chaîne ou employé de fast-food... Voilà la réalité quotidienne de millions de nos concitoyens noirs. Voilà ce que vivent en silence tant et tant de Français, à l'ombre des promesses d'égalité et de fraternité de notre idéal républicain. En révélant ces inégalités, le CRAN n'a fait que son devoir. Son devoir républicain.

Après cette enquête, nous nous attendions à soulever l'indignation, à provoquer une prise de conscience des responsables politiques, voire un débat national. Rien. A l'exception notable de Marie-George Buffet (PCF) et de François Bayrou (UDF), qui étaient présents cette année au dîner du CRAN, aux côtés de représentants du CRIF et du MRAP, aucun candidat à l'élection présidentielle n'a exprimé son soutien. Pas de déclarations de Nicolas Sarkozy, ni de Ségolène Royal, ni de José Bové...

Non seulement la prise de conscience n'a pas eu lieu, mais certains responsables politiques ou associatifs, au lieu de s'indigner du niveau effarant des discriminations frappant les Noirs de France révélé par le baromètre, s'en sont pris... au CRAN et à la TNS Sofres. Comme dans le proverbe chinois, qui dit que lorsqu'on lui montre la lune, l'imbécile regarde le doigt, ils se sont attaqués au doigt. Comme s'ils avaient peur, au fond, de regarder la réalité en face. Comme s'ils préféraient que l'on continue à faire comme avant, au détriment de pans entiers de notre population. Comme si, à leurs yeux, les discriminations étaient moins insupportables que le fait de les dénoncer.

Peut-on nier qu'un tel baromètre fait avancer la démocratie ? Non, bien sûr. Le CRAN mène, avec tous, un combat universel. En défendant les droits des Noirs, il défend la cause de toutes les minorités de France et, plus largement, de tous ceux qui souffrent d'injustices dans notre pays. Quels que soient leur couleur de peau, leur croyance, leur sexe ou leur orientation sexuelle.

La situation actuelle n'est plus acceptable. Et c'est pour cette raison que nous demandons que soient inscrites au programme des candidats à l'élection présidentielle les mesures suivantes :

- des statistiques de la diversité pour analyser les inégalités et suivre leur évolution dans le temps ;

- une politique d'action affirmative ambitieuse et efficace à l'échelle nationale. Nous voulons que les pouvoirs publics tiennent compte du fait qu'être noir en France est un handicap social et agissent en conséquence. Nous voulons que les minorités soient représentées dans les instances politiques, judiciaires et économiques. Nous voulons que des Noirs siègent au gouvernement, au Parlement et aux conseils d'administration des entreprises. Nous voulons que la création d'entreprises par des entrepreneurs issus des minorités soit favorisée. Nous voulons que l'Etat aide les Noirs à accéder au logement, aux bourses, aux stages pour que les jeunes Noirs n'en soient plus réduits à travailler dans la supérette au bas de leur immeuble.

La France ne peut pas faire l'économie de ces mesures. Nous ne pouvons pas prendre le risque que se développent dans notre pays, comme aux Etats-Unis, deux sociétés : une société blanche et une société noire. Il revient aux responsables politiques de faire en sorte que cela ne se produise jamais en France. C'est possible, si nous faisons face à la réalité et si nous nous retroussons les manches, ensemble, pour réparer les injustices de notre société.

Il y a bien longtemps, la France a fait un rêve. Celui d'un pays où tous les citoyens seraient libres et égaux, sans distinction de croyance, de couleur de peau, de sexe ou d'origine. Nous demandons que ce rêve, qui est aussi celui des Noirs de France, devienne, enfin, une réalité.

Patrick Lozès

Président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN)

 

 

© Le Monde

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